Un frisson de dégoût parcourût Jrulf tandis qu’il observait les enluminures complexes et délicates courant le long des murs du vaisseau. De frêles sculptures décoraient l’ensemble des coursives, leurs formes graciles rappelant celles de ces êtres abjects qu’il était désormais en train de pourchasser sur leur propre territoire, laissant son instinct et ses sens améliorés l’amener vers sa proie. Ici et là courait quelque veine de marbre à demi translucide, comme si le vaisseau entier était semi-vivant, comme couvert d’un réseau artériel.
Jrulf était déjà endurci par la guerre mais jamais encore il n’avait vu ce type de construction impie, d’une délicatesse troublante mais néanmoins répugnante.
Cela ne faisait pas encore une lune qu’il avait l’honneur de porter les armes en tant que Chasseur Gris, et il n’avait depuis participé qu’à des patrouilles de reconnaissance et à des déplacements de troupes sur l’arrière. La campagne était en train de s’enliser et le Marine était en mal d’action.
Jrulf avait été intégré à la Meute de Thurm Dent-noire après la bataille d’Atlas Prime, à quelques centaines de kilomètres plus à l’ouest. Il était le seul Griffe Sanglante de son escouade à avoir survécu à l’assaut fatal contre les positions ennemies, ne devant son salut qu’à sa maîtrise du combat et à la brutalité avec laquelle il était capable de manier son gantelet énergétique. C’est d’ailleurs pour cette raison que Thurm demanda personnellement au Chef de Meute de pouvoir intégrer le survivant dans son escouade. Dent-noire insistât également pour que Jrulf se voie remettre « Mjölnir », le gantelet énergétique décoré de runes protectrices que portait son frère d’arme le superstitieux Kjarn, tombé lui aussi sur Atlas Prime.
***
La surface marbrée des parois reflétait une étrange lueur. Le champ énergétique de Mjölnir crépitait d’impatience en éclairant l’endroit d’une lumière tremblante, telle une bougie assaillie par le vent. Sa première réaction de dégoût passée, Jrulf commença à trouver une certaine beauté aux fines enluminures et à la riche architecture du vaisseau. Il commença même à essayer de comprendre les runes ésotériques qu’il apercevait ici ou là, comme subjugué par leur charme. Ce nouveau sentiment le répugna plus encore que le précédent.
Bouse de Troll ! Jura-t-il pour lui-même en reprenant ses esprits. Continue dans cette voie et tu finiras toi aussi par ne boire que de l’eau, comme ces infâmes Xenos !
Le Chasseur Gris se remémora alors la puissante odeur de houblon des bières fenrissiennes. Il lui sembla encore en sentir l’écume perler sur sa courte barbe.
Ce vaisseau est impie, et toutes ces pacotilles décoratives ne sont qu’hérésie. Seules les constructions impériales, sanctifiées par l’Adeptus Mechanicus méritent l’attention d’un fidèle de Russ.
Alors qu’il s’enfonçait plus loin dans les entrailles de l’astronef, son odorat surdéveloppé reconnu enfin l’odeur si caractéristique de son objectif. Cette odeur abjecte qui n’a rien d’humaine. Cette mixture d’une quantité effarante d’essences de plantes et de muscs, tentant de cacher le parfum de chair imberbe. Malgré tous ses efforts, Jrulf n’a jamais pu reconnaître que quelques-uns des composants de cette effluve. Et les senteurs qu’il était parvenu à identifier proviennent de bois et de fleurs tellement rarissimes qu’il ne les avait jamais vues ailleurs que sur les étiquettes des pots à senteur du Prêtre de Fer, lors du test olfactif qu’il avait passé sous le Croc il y a de cela une demi-éternité.
- Jrulf à Thurm. Objectif localisé. Distance estimée : 350 pas.
L’intercom grésilla dans l’oreille de Jrulf.
- Bien reçu. Etablissez le contact visuel.
- Bien Sergent.Jrulf avait hâte de quitter cet endroit et de le voir purifié sous les torpilles à plasma. Il espérait ardemment que les Prêtres du Culte de la Machine ne décident pas encore une fois de récupérer la carcasse pour leurs étranges études xénologiques. Mais peu importe le sort de ce vaisseau. Pour l’heure Jrulf se délectait de la fierté d’avoir été choisi pour cette mission afin de prouver sa valeur à ses nouveaux frères de meute.
Après une coursive plus étroite que les autres, Jrulf arriva dans l’antichambre de la passerelle de commandement. Une porte blindée délicatement ouvragée le séparait de son objectif. Malgré la finesse de ses décors, la porte semblait aussi solide que l’adamantium le plus pur.
- Objectif atteint, j’enclenche la déflagration.
- Bien reçu.Le vieux Thurm n’avait jamais été très loquace, et il l’était d’autant moins pendant les missions.
Peu importe car Jrulf n’attendait aucune confirmation d’ordre, sachant parfaitement comment opérer. Il saisit alors l’une des bombes à fusion accrochées à sa ceinture et fixa l’explosif à la porte grâce à son système magnétique. Il activa alors le détonateur et se mit à couvert. La déflagration tonitruante fût heureusement atténuée par les régulateurs d’environnement du casque du Marine. Sans cet équipement, il serait probablement devenu sourd.
Jrulf s’engouffra dans le trou béant, Bolter à la main alors que les fumées s’étiraient le long du plafond. Sa vision surhumaine et les senseurs de son casque lui permettaient de voir aisément parmi les fumées. Jrulf identifia son objectif au bout de quelques centièmes de secondes. L’artefact était là, comme prévu, dans les mains de ce qui semblait être le commandant de bord de la frégate. Celui-ci semblait vouloir la protéger précieusement même par-delà la mort.
Ils avaient tous péris lors du crash. Les pilotes démembrés gisaient ici et là : tantôt assis, encore attachés à leurs sièges ; tantôt projetés contre les parois ou sur les instruments de navigation. Ils ressemblaient tous à de grotesques poupées désarticulées plutôt qu’à des soldats.
Jrulf regretta qu’il n’y eut pas au moins un Xenos en vie dans la cabine afin de le purifier lui-même du juste châtiment à coups de Bolts sanctifiés.
Le Chasseur Gris arracha la boîte ouvragée des mains raidies du commandant de bord. L’artefact ovoïde était finement ciselé, plusieurs gemmes brillant à sa surface malgré le faible éclairage de la pièce. L’artefact semblait fait de la même matière que les artères du vaisseau. Quelques runes indéchiffrables brillaient à sa surface, changeant constamment de forme et de couleur. Jrulf se demanda ce que cet oeuf pouvait bien contenir de si précieux pour que l’Inquisiteur Judicaël en personne en ait exigé la capture. Mais finalement cela importait peu pour le moment, et la demande de l’Inquisiteur ne faisait que rendre le Marine plus fier encore de la tâche qui lui avait été confiée.
Jrulf plaça délicatement l’objet dans le réceptacle à champ de stase qu’on lui avait remis, puis fît demi-tour pour rejoindre l’air libre.
- Objectif sécurisé Sergent.
- Bien reçu.
Jrulf se doutait de la réponse qu’il recevrait du vieux Thurm !
Prenant le chemin inverse, le Marine se dirigea vers ses frères de Meute.
Alors qu’il était à mi-chemin de la sortie, l’ouïe hypersensible de Jrulf perçut un lointain son de détonations. Son oreillette cracha subitement les ordres de Thurm.
- Thurm à Jrulf. Nous subissons un assaut. Nouvel objectif : trouvez le réservoir de carburant et faites sauter l’appareil. Rejoignez-nous au plus vite.
- A vos ordres Sergent !Ayant repéré les lieux à l’allée, Jrulf pouvait aisément deviner quelle direction prendre pour atteindre les réservoirs. Il se rua à l’étage inférieur, en direction de l’ouest. Malheureusement son nouvel objectif l’éloignait de son point d’entrée. Il fallait agir vite.
Tandis que les parois veinées défilaient devant lui, Jrulf eut l’impression de n’être qu’un insecte pris dans une gigantesque toile d’araignée. Il était totalement impuissant alors que ses frères combattaient âprement à l’extérieur…
- Thurm à Jrulf. Combien de temps vous faudra-t-il pour atteindre votre objectif ?
- Temps estimé à 45 secondes sergent.
- Vous en avez 30.Jrulf accéléra encore la cadence, poussant les servomoteurs de son armure au maximum de leur puissance. Il arriva devant le sas de protection des réservoirs. Comme il s’y attendait, le sas s’était verrouillé lors du crash, empêchant ainsi la propagation du carburant dans le reste de l’appareil.
Visant le point de jonction qu’il estima comme le plus fragile, Jrulf asséna sur la porte un violent coup de gantelet en profitant de son élan. Mjölnir illumina le hall en déchargeant brusquement l’énergie accumulée par son mécanisme. Un deuxième coup de poing et une faille apparut. En un dernier coup le sas céda suffisamment pour permettre au Marine de s’y glisser, ce qu’il fit aussitôt.
Décrochant et amorçant d’un même geste les deux bombes à fusion restant à sa ceinture, Jrulf jeta les charges en visant la mi-hauteur des cellules-réservoirs. Sans même vérifier s’il avait bien atteint sa cible, il se mit à courir vers la sortie aussi vite qu’il le pût.
Jrulf avait réglé le minuteur sur 20 secondes lors de sa course. Il espérait que cela lui laisserait le temps de retrouver l’air libre. Echouer à sa première mission en tant que Chasseur Gris en grillant vif dans cette horrible carcasse serait une mort bien peu glorieuse pour un Fils de Russ.
Alors qu’il retraversait le sas à la hâte, il actionna son comlink.
- Objectif atteint. Détonation dans 19 secondes.
- Votre objectif est désormais de sécuriser l’artefact à tout prix. Vous ne pouvez pas faillir.Tous les muscles du jeune Chasseur Gris étaient tendus comme des câbles d’acier. Il lui semblait que son armure était sa propre peau, poussée à la limite de la déchirure. Ses pas résonnaient lourdement sur le sol, comme pour lui marteler le macabre compte à rebours avant l’explosion.
Il restait encore plus de deux cent pas. Le bruit du combat qui se déroulait à l’extérieur résonnait déjà dans les coursives. Serrant nerveusement la boite à champ de stase contre son flanc, Jrulf commençait à deviner la lumière provenant du trou béant laissé sur tout un côté de la coque lors du crash. Encore cent pas. Un vacarme assourdissant envahit soudain le Marine, malgré les atténuations sensorielles de son casque.
Jrulf senti d’abord le les terribles vibrations parcourant la coque de l’appareil. Il se prépara à mourir en adressant une ultime prière à Russ tout en continuant sa course. Il pouvait déjà ressentir l’impact et avait étudié mentalement la trajectoire de son corps lorsque le souffle l’emporterait.
Depuis qu’il avait été choisi comme aspirant-Marine, il s’était préparé à la mort, forgeant ainsi sa volonté et sa dévotion. Mais aujourd’hui il allait mourir sans emporter d’ennemi avec lui, et nul ne chantera son nom dans les sagas.
Le souffle l’emporta, fauchant le solide Marine comme un ouragan emporterait une plume. Le choc explosa la plaque dorsale de son armure, le brûlant profondément. Tous les voyants des variables de survie passèrent instantanément au rouge. En une fraction de seconde, le surhomme génétiquement amélioré n’était plus qu’un vulgaire pantin manipulé par la puissance de la déflagration. La douleur était atroce. Le souffle coupé, les membres rôtissant dans sa propre armure, le Chasseur Gris avait eu comme réflexe de sauter en direction de l’ouverture une demi-seconde avant l’impact. Profitant du souffle qui l’emporta, le Marine fût projeté dans un maelström de fer et de feu, tandis que l’appareil vomissait ses entrailles par la blessure qui lui avait déjà déchiré les flancs lors du crash. Une plaque de métal propulsée par la détonation vint sectionner net le bras et la jambe gauche du Marine.
La masse inerte du jeune Chasseur Gris percuta violemment le sol. Un Rhino s’approchait déjà, l’escouade Thurm à son bord.
***